
C'est une audition aussi instructive par les réponses de la présidente de l'ANJ que par les questions qui lui ont été posées. En visionnant le replay de ces échanges, on prend ainsi bien mieux conscient des préoccupations de nos élus — en l'occurrence les sénateurs — vis-à-vis de la problématique des jeux d'argent en France.
Isabelle Falque-Pierrotin avait d'emblée donné le ton en rappelant l'un des grands objectifs de la politique de l'État en la matière : limiter et encadrer l'offre et la consommation de jeu. "La régulation doit s'insérer dans cet objectif général", avait ainsi asséné la président de l'ANJ avant de poursuivre : face à "un marché en très forte croissance [...] on atteint une complexité qui devra être traitée par le régulateur". Une façon de confirmer que ce dernier évolue plus que jamais sur un fil, entre protection des joueurs et préservation des intérêts économiques du secteur.
Les sénateurs ne s'y sont pas trompés, comme l'illustrent les deux premières questions soumises par Claude Raynal et Jean-François Husson. "La mission de l'ANJ n'est-elle pas impossible ?", a interrogé le premier avant de voir le second fustiger "un moment de folie furieuse" à propos de la croissance à deux chiffres de l'activité de paris sportifs. "Le régulateur aura toujours un train de retard", concluait-il alors en clouant au pilori une attitude de l'État "moralement répréhensible".
Sur ce plan, Isabelle Falque-Pierrotin a tenté de mettre en avant l'action de l'ANJ dans la foulée de l'Euro 2020 et sa "surpression publicitaire extrêmement forte". Le dispositif imaginé à l'époque aurait permis de cantonner significativement la pression publicitaire durant la Coupe du Monde, avec notamment une disparition des messages exagérément positifs. Ce constat sera néanmoins appelé à être affiné prochainement : une évaluation des campagnes publicitaires des quatre plus gros opérateurs est en cours, et les premiers indicateurs seraient assez positifs quant au respect des lignes directrices établies par le régulateur.
Pour autant, la présidente de l'ANJ concède que "la pression publicitaire reste forte" et réfléchit donc à "la nécessité de compléter notre arsenal réglementaire". Deux sujets feront en particulier l'objet d'un examen prochainement :
- le sponsoring d'émissions sportives, qui aurait permis aux opérateurs de faire "un pas de côté" face au nouveau cadre réglementaire ;
- et le recours aux influenceurs, "énormément mobilisés en fin d'année".
Plus globalement, celle qui a succédé à Charles Coppolani assure que "2023 sera une année importante en terme de contrôle des opérateurs" et que ladite politique de contrôle se montrera "vigoureuse". Le régulateur a-t-il les moyens de ses ambitions ? Là encore, l'intéressée n'exclut pas de demander un élargissement de ses moyens d'action à l'avenir :
Isabelle Falque-Pierrotin
Le pacte social collectif qui a été formé par ce cadre légal, c'est de dire que dans le fond le jeu légal est toléré mais à la condition qu'il reste récréatif. Aujourd'hui on voit que cette notion de jeu récréatif est quand même fragilisée par les pratiques, car cet écosystème industriel qui s'est mis en place a tendance à industrialiser le jeu d'argent et à le rendre de moins en moins récréatif.
[...]
Il faudra donc se livrer à un bilan critique de la régulation en se demandant si dans le fond, nos outils d'intervention sont suffisants. Est-ce qu'il faut donner au régulateur les moyens de plafonner les budgets marketing, de restreindre les horaires de diffusion de la publicité, de limiter la publicité à certains supports professionnels mais pas grand public ?
[...]
Nous ferons des propositions complémentaires pour que le cadre juridique puisse être ici ou là complété, de manière à donner plus de capacité d'action au régulateur. Je crois que c'est nécessaire, à la fois en terme d'effectifs et de capacité d'intervention.
Vous en voulez encore ? De cette intervention très dense devant les sénateurs, on a également retenu quelques déclarations sur des sujets très précis. On vous laisse les découvrir in extenso :
- à propos de la fiscalité : "On a un taux de prélèvement tous acteurs confondus qui est de l'ordre de 50 % en France là où les autres pays européens sont plutôt autour de 20-25 %, donc il y a aussi une concurrence en Europe en terme d'attractivité."
- à propos du poker : "On a des nouvelles formules de poker qui s'appellent par exemple Expresso. Ce sont des tournois qui durent cinq minutes et qui sont extrêmement addictifs parce que finalement la barrière à l'entrée pour un joueur est très faible, et ça va très vite. Là aussi, on est en train de réfléchir aux possibilités que nous avons d'encadrer ces offres."
- à propos des casinos en ligne : "La situation est assez atypique. La France et Chypre sont les seuls États à ne pas les autoriser. Une étude est en cours et ses résultats nous permettront prochainement d'identifier de façon plus précise ce que représente l'offre illégale en France. Le caractère addictif de ce type d'offre est en tout cas documenté : en cas de régulation, des garanties supérieures à celles qui existent aujourd'hui seront donc nécessaires. [...] La situation de la France est également particulière du fait du maillage territorial important des casinos physiques. Dans l'éventualité d'une régulation des casinos en ligne, nous estimons que les casinos physiques pourraient souffrir d'une perte d'activité de l'ordre de 30 %".
Auditionnée mercredi durant plus d'une heure devant la Commission des Finances du Sénat, la présidente de l'Autorité Nationale des Jeux (ANJ) a notamment appelé de ses vœux un élargissement des pouvoirs du régulateur. Tout en distillant quelques informations et chiffres intéressants, aussi bien sur l'état de santé du secteur que sur son avenir.
[...] Lire la suite…
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